LE RÊVE DU DESTIN

© Copyright Jordi Rodríguez-Amat

Ce texte a été inscrit au Registre de la Propriété Intellectuelle du Département de la Culture du Gouvernent de la Catalogne

Pour F. P. R.

La route avait était longue, sinueuse, rocailleuse, pleine de serpents, scorpions et lézards. L'esprit, cependant, se montrait souple et léger. Tout au long du parcours, à coté d’Hermès, j’avais trouvé des bergers, des sorcières, des dégénérés, des temples, des dieux et des déesses. La grandeur de mes desseins ne me découragea pas et, en poursuivant mon chemin, j’aperçus, tout à coup, Aphrodite émerger de la mousse des mers. Elle m’offrît sa main et, en processions à trois, nous parcourions ensemble une partie du chemin, tandis qu’elle m’instruisait sur les affaires les plus intimes de l’amour. Plus tard, du bras d’Ulysse, je rencontrais Éole dont l’un des vents, après m’avoir fait mille caresses, me ramena vers Ithaque. De plus en plus, au long du périple, je me plaisais sans cesse à pousser mon imagination à la recherche des lieux de lumière et de joie.

Revenu à moi, après un petit moment de repos, je sentais à nouveau Éole lustrer mon visage tandis que Hélios, étincelant au zénith, le dorait doucement. Je fis encore une pause et, en me jetant dans un coin du chemin, je jouissais du rêve de pouvoir retrouver finalement l’oracle.

En poursuivant mon chemin, fatigué mais heureux, j’aperçus, devant moi, s’élever, majestueux, radieux, le sommet du Parnasse. À ce moment, mon esprit courut à la rencontre des poètes qui, au long de l’histoire, ont été bénis par l’inspiration lyrique. Doucement le sommeil m'envahit à nouveau et je me vis entouré par Apollon et Dionysos.

La lumière s’était évanouie et leurs images, de plus en plus claires, se montraient à mon esprit. Ils s’amusèrent à danser. Maintenant en se serrant la main, puis en s’éloignant l’un de l’autre en une danse majestueuse, à certains moments rythmiques, et d’autres frénétiques. Entre lauriers et oliviers, en parfait concert avec les Muses, Apollon se déplaçait, belle et beau. C'était le triomphe de la beauté sereine, l'équilibre, le contrôle du corps et de l'esprit. Dionysos, en secouant corps et âme, entouré de satyres, silènes et bacchantes, cabriolait avec des gesticulations violentes, une danse sauvage, orgiaque. En ouvrant les yeux je me trouvais enveloppé par des nymphes, néréides et muses dansant au rythme de mon cœur.

J'avais traversé le golfe de Corinthe, et, en faisant chemin, tout près de la pente du Parnasse, apparue, tout d’un coup, majestueuse, la ville de Delphes. À deux pas de là, je me suis assis sur un banc de pierre brune à côté de la déesse Gaïa. Elle, sombre et triste, les larmes aux yeux, ne pensait qu’à Uranus. Dans sa douleur elle se plaignait malheureuse d’être immortelle. Moi, après avoir regardé Hélios au fond du ciel, je descendais doucement mon regard, pour lui faire sentir la splendeur imposante du temple d’Apollon. Les colonnes, au style dorique serein, avec ses tambours rainurés, en dessinaient le péristyle. Pas loin de là, un groupe d’auriges s’instruisaient pour les jeux.

En m’approchant du temple, j'aperçus Apollon. Lui-même s’approcha de moi et, en laissant sa lyre, me reçut devant la porte. Dans un coin du pronaos se trouvaient l'arc et les flèches. Quelle beauté! Musique et poésie rayonnaient de tout son corps. Tout deux, lui et moi, nous nous assîmes sur le parvis du temple, Apollon m'instruit sur la chasse, la médecine, la musique et la poésie. Il me parla de Zeus, son père, et d’Artémis, sa sœur jumelle et vierge, et enivrés du fantôme de la fiction, nous entreprenions un long voyage par toute l’Hellade. Nous retrouvions Athéna et Homère et Orphée avec sa cithare. Nous descendions au fond des Hadès et, à Sparte, je suis tombé profondément amoureux de la belle Hélène. Par moments, je me sentais Paris et le désir de l’enlever m’envahissait l'esprit. À Troie, déguisé en Achille, je tuais Hector. Finalement, j’entrais dans la ville dans le cheval.

Revenus du voyage, Apollon me prit par la main, et, en m’aidant à me lever, nous entrâmes à l'intérieur du temple. C'est là qu’entourés d’une claire pénombre, j'ai pu voir un groupe de Sibylles extasiées. Au sous-sol, dans une ombre obscure, une femme, juste au dessus de la cinquantaine, bien proportionnée, mince et puissante à la fois, réjouit mes yeux. C’était Pythie, Pythonisse la devineresse. A ses pieds se trouvait étendu, mort, le serpent python. Apollon, sans rien me dire, s’approcha d’elle et lui demanda de prédire mon destin. Devant l’autel, elle commença à mâcher des feuilles de laurier et des quelques fissures dans le sol émanèrent des vapeurs sulfureuses. Quelques minutes plus tard, son corps commença à trembler avec des mouvements convulsifs, tandis qu’elle balbutiait des mots incompréhensibles à mes oreilles. Ces mouvements se poursuivirent jusqu'au moment où, après s’être agitée frénétiquement de la tête aux pieds, elle commença doucement à contrôler son corps.

Quelques moments passèrent, les yeux retournés, le visage enflammé, elle s’approcha de moi et, d'une voix presque silencieuse, me prédit le destin.

Jordi Rodríguez-Amat

3 d'octobre 2012

 

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