DANS  LA  BAIGNOIRE

 

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Nous étions à deux dans la baignoire. Elle était heureuse. En tout cas, elle faisait comme si. J’imaginais donc qu’elle l’était. J’étais à côté d’elle. La baignoire était très petite. Elle avait le ventre plat. Je la regardais dans les yeux et, sans rien dire, je promenais ma main sur sa poitrine, son ventre et ses cuisses. Tout d’un coup, je me suis mis sur elle. Soudainement, la tentation de faire l’amour dans la baignoire m’est venue à l’esprit. Un jour nous ferons l’amour dans une baignoire plus grande, beaucoup plus grande que celle-ci. Son regard, pupilles dilatées, était pénétrant et dispersé, mais inquisiteur au même temps.

 

Mathilde était une femme sensitive et triste. Entre nous il n’y avait rien d’autre qu’un simple lien sentimental, très superficiel. Femme émotive et très incertaine, ses sentiments étaient essentiellement différents des miens. Même nos caractères n’avaient rien à avoir l’un de l’autre. Je ne peux pas nier que je l’aimais, bien qu’on ne m’ait jamais appris à le faire. Mon amour était inconstant et fragile, car j’avais appris à aimer à la dérobée. Elle était très candide et, bien que sensitive, peu sensible. Pendant nos rencontres amoureuses, son corps m’appartenait entièrement. Elle pouvait me le donner facilement, mais non pas son âme. Parfois ses yeux dévoilait une arrière pensée que je n’arrivais pas à démasquer. Jouait-elle aussi son rôle ? Et moi, est-ce que je rirai plus tard de cette folie amoureuse comme je l’ai fait avec d’autres ? Car, bien que je jouissais profondément, je ne me sentais pas capable de livrer mon âme au diable pour pouvoir, en échange, éterniser ce moment. Je me sentais acteur et spectateur en même temps. Les jeux éternels de la passion et de l’amour avaient endurci mes esprits et je me trouvais à l’abri de toute misère humaine.

 

Ses yeux reflétaient toujours la souffrance et la tristesse de l’incompréhension entre elle et son ex-mari. Quand elle me racontait la haine qu’elle avait envers lui, je l’écoutais avec compassion. Ils se sont séparés depuis trois ans. De même que chez beaucoup d’autres couples, leur relation avait été très compliquée. Même leurs rapports sexuels n’avaient jamais été bons. Parfois elle avait le complexe que leur rupture avait été à cause d’elle, de son incapacité à lui offrir de vraies jouissances sexuelles. Un jour elle m’avait même raconté que son ex-mari lui avait proposé de se livrer à un échange de couples avec des amis à eux, mais elle ne m’a jamais dit si elle avait accepté. De l’ex-mari, je ne sais que ce qu’elle me raconta.

 

J’avais connue Mathilde tout à fait par hasard. Un beau jour d’été, j’étais en train de prendre une bière au comptoir du café Zurich à Barcelone. Elle, assise à côté de moi, me demanda après m’avoir examiné du coin de l’œil; est-ce que vous avec des allumettes ? Je suis resté un bon moment à la regarder dans les yeux. Ils étaient beaux, même très beaux. Ils m’ensorcelaient. Au bout de quelques secondes, je lui répondis : une femme aussi belle que toi ne devrait pas fumer. Elle rougit comme une tomate et, tout de suite, en s’approchant de moi et sans dire un seul mot, m’embrassa sur une joue.

 

Ce ne fut pas bien difficile pour moi de tomber amoureux d’elle, mais, avec les jours, notre lien sentimental se balançait. Y a-t-il une relation amoureuse qui ne soit pas tout à fait impossible ? M’interrogeais-je moi-même de temps à autre Si non pas tout à fait, la nôtre l’était presque. Les rapports entre les individus deviennent généralement difficiles à harmoniser. Elle avait peur. Pas peur de moi. Même pas des principes moraux qui auraient pu l’accabler. Non plus du souvenir de la souffrance qu’elle supportait encore de son union maritale. Elle était troublée croyant que son incapacité ne lui permettrait de correspondre à une nouvelle relation sentimentale par les difficultés qu’elle croyait pouvoir trouver à nouveau et aussi à cause de sa situation personnelle; une situation personnelle précaire ainsi que son incapacité à gérer le petit patrimoine que lui avait laissé son mari. Un certain désordre remplissait sa tête. À ce point-là, elle était fragile et, surtout, elle ne pouvait pas supporter l’idée d’un nouvel échec sentimental.

 

Elle voyait que je me tenais à l’écart, afin de ne pas m’impliquer dans sa vie personnelle et lui créer encore plus de confusions et d’ennuis particuliers. Mathilde, lui disais-je de temps à autre, je sais que les liaisons sentimentales sont parfois difficiles mais la nôtre pouvait se limiter à être un jeu sentimental et nous avons la possibilité de le jouer. Bien que ça puisse tomber dans une rupture, nous pourrions, intelligemment, en épargner les possibles mauvaises conséquences. A priori, la peur qu’elle avait d’une rupture ne lui permettait de jouir profondément de notre relation. Encore, y avait-il d’autres problèmes personnels qui bornaient sa disposition à prendre des décisions hardies. Les enfants, bien qu’émancipés depuis quelques années, opprimaient leur mère. Ils ne pouvaient faire pareil avec leur père à cause de la barrière que celui-ci avait érigée entre eux. En plus, son père à elle était très âgé et les besoins d’affections qu’il avait l’obligeaient. Quand je lui parlais, un brouillard opaque apparaissait brusquement sur son visage. C’était comme si le vide remplissait son esprit.

 

J’aurais bien aimé de connaître ses pensées et ainsi pouvoir m’introduire à l’intérieur de son esprit pour dénouer son âme. Tout ce que je pouvais faire c’était de dévoiler au travers de ses yeux la placidité de ses nostalgies teintes de haine, la joie empreinte de tristesse de notre liaison et la pensée hermétique de son regard.

 

La volupté de notre liaison comblait nos états d’âme de plaisirs temporaires. De même que moi, je pensais qu’elle aussi aurait aimé d’éterniser ces moments-là, mais, dans la vie rien n’est éternel. Les sentiments intérieurs à l’individu, ainsi que le monde extérieur évoluent constamment, et la métamorphose du corps va de la main avec l’évolution de la connaissance. Même l’univers est soumis aux déroulements temporels; c’est le Ta Panta Rei d’Héraclite. À ce moment-là m’est apparue dans l’esprit l’idée que tout change, sauf la continuité parfaite du changement. Et si le monde est un feu qui ne s’éteint jamais, ça n’arrive pas avec les sentiments, car, les flammes de l’amour s’allument et s’éteignent continuellement.

 

Nous étions dans la chambre 34 de l’hôtel Rivad al Moussilka à l’ancienne médina de Marrakech. Moi, je n’arrêtais pas de la regarder dans les yeux, alors qu’elle m’en régalait leur éclat. Étant dans la chambre nous entendions distraitement couler l’eau de la fontaine dans la cour et le bruissement presque silencieux du monde extérieur. Il ne m’aurait pas fallu reprendre du courage pour lui dire : je t’aime, mais, je ne lui ai pas dit, car je savais, moi-même, qu’il n’y a pas d’amour infini. Je croyais même, qu’elle aussi pouvait penser la même chose que moi. Je me suis mis dans sa peau pour essayer d’imaginer ce qu’elle avait dans la tête, mais je n’ai pas réussi. Bien que réel, tout avait l’effet d’un rêve qui, plus tôt ou plus tard, allait s’évanouir et, avec le temps, de ce souvenir, on n’en garderait que les détails.

 

Quand nous sortirons de la baignoire, nous irons au lit et je la prendrai dans mes bras pour l’aimer profondément, avais-je pensé.

Jordi Rodríguez-Amat

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